Dans une tribune publiée dans Le Monde le lundi 25 mars, une quarantaine d’organisations professionnelles, dont la SRF, et des milliers d’artistes-auteur.rice.s demandent l’adoption d’une proposition de loi visant à intégrer les artistes-auteur.rice.s dans la caisse commune de l’assurance-chômage.
Aucun livre, film, spectacle vivant, aucune création visuelle, plastique, graphique ou sonore, ne peut exister sans le travail initial d’un artiste ou d’un auteur. Nous les artistes-auteurs, sommes à l’origine de toute œuvre. Nous sommes la condition sine qua non de la création contemporaine, l’élément moteur de la vie culturelle et intellectuelle de notre pays.
Notre travail génère une activité économique qui fait vivre les secteurs de la musique, de l’art contemporain, de l’édition, du design ou du cinéma. 650 000 emplois dépendent directement de nos créations. En 2022, les secteurs de l’art et de la culture représentent 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Des montants colossaux, mais sans rapport avec nos conditions de vie.
ÉTAT DES LIEUX
En 2021, nous étions plus de 300 000 à avoir déclaré des revenus au régime des artistes-auteurs. Parmi nous, des écrivains, des compositeurs, des réalisateurs, des scénaristes, des photographes, des graphistes, des peintres, des sculpteurs, des illustrateurs, des designers ou encore des traducteurs.
Malgré la diversité de nos professions, nous partageons un statut offrant une faible protection sociale. Contrairement aux artistes-interprètes, nous ne bénéficions pas des droits sociaux fondamentaux que sont la reconnaissance des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Nous n’avons pas non plus accès à l’assurance chômage, en dépit de nos emplois précaires et discontinus. Pourtant, nous sommes aussi des travailleurs et prétendons à une couverture sociale digne de ce nom.
La situation sociale des métiers de la création est bien documentée : en 2017, 53 % des artistes graphiques et plastiques ont perçu moins de 8 703 euros de revenus artistiques annuels. En 2019, 75 % des auteurs de BD installés à Angoulême étaient au RSA. Si toutes nos professions ne sont pas égales face à la pauvreté, tous les artistes-auteurs partagent une précarité structurelle qui les empêche de se projeter et d’envisager l’avenir sereinement.
La situation est également bien connue du Parlement européen qui, dans sa résolution du 21 novembre 2023, alerte sur les droits des artistes-auteurs, soulignant qu’ils devraient comme tous travailleurs bénéficier « du droit à un salaire minimum, à la négociation collective, à une protection en ce qui concerne le temps de travail et la santé, à des congés payés et à un accès à la protection contre les accidents du travail, aux prestations de chômage et de maladie, ainsi qu’aux pensions de vieillesse contributives ».
À NOUS D’ÊTRE À LA HAUTEUR DU MOMENT
Il est temps de prendre en compte les réalités d’une économie fondée sur la contribution de travailleurs faiblement rémunérés, soumis à une concurrence féroce et relégués dans des dispositifs inadaptés comme le RSA et l’ASS. Les réformes en cours menacent d’ailleurs d’en priver nombre d’artistes-auteurs qui risquent alors de devoir renoncer à leur métier.
C’est pourquoi, avec Pierre Dharréville (député GDR) et la commission culture du PCF, des syndicats et associations (SNAP CGT, STAA CNT-SO, La Buse, la SRF, l’AFD) ont rédigé, sous l’œil attentif de la majorité des organisations professionnelles, un projet de loi visant à intégrer les artistes-auteurs dans la caisse commune de l’assurance chômage.
Son adoption serait une avancée historique s’inscrivant dans la continuité des dispositifs en place. Car depuis le milieu des années 70, nous sommes adossés au régime général de la Sécurité sociale et bénéficions des droits de salariés en ce qui concerne la retraite, la maladie et la famille. Il s’agira ici d’étendre ces prestations au chômage, conformément aux recommandations du Parlement européen.
Ce progrès social majeur serait financé par une augmentation des cotisations payées par les diffuseurs, qui passeraient de 1,1 % à 5,15 % – les artistes-auteurs s’acquittant déjà d’une part salariale de la contribution chômage via la CSG.
LES EFFETS ATTENDUS
La liberté, au cœur de la création, ne peut exister qu’à l’abri de logiques ultra-concurrentielles qui favorisent les violences systémiques. Contre l’incertitude des règles du marché, qui conduisent à obéir plutôt qu’à inventer, nous devons construire des droits qui changent la donne. S’il est émancipateur, le travail de création génère aussi du stress, des angoisses, amplifiés par l’absence de protection sociale. Cette précarité provoque de l’usure physique et psychique.
L’effet immédiat de ce dispositif de continuité du revenu sera de sortir de la précarité économique nombre d’entre nous qui pourront ainsi se maintenir en activité. Nous aurons plus d’aisance pour négocier nos contrats, et serons en meilleure position dans les rapports de force, forcément inégaux, instaurés par les diffuseurs et les commanditaires.
Moins précaires, nous n’aurons plus à choisir entre une vie de famille ou la poursuite de notre carrière. Nous pourrons envisager plus sereinement des situations de vie extrêmement banales qui sont particulièrement complexes pour nombre d’entre nous (location, emprunts bancaires, etc.).
La sécurisation des conditions de travail des artistes-auteurs est essentielle pour que continuent d’éclore des talents qui font l’attractivité de la France et contribuent à son rayonnement.
PORTONS CE PROJET COLLECTIVEMENT
Nous convions donc tous les artistes et les auteurs à porter cette proposition de loi, car il s’agit de leurs conditions de travail et de vie. Nous appelons l’ensemble du monde des arts et de la culture à se tenir à nos côtés. Nous invitons toutes les personnes pour qui la culture importe à soutenir ce projet. Enfin, nous demandons aux parlementaires, députés et sénateurs, de défendre et de voter ce texte qui mettrait fin à un mode de rémunération archaïque hérité du XIXe siècle.
Ne tenons pas plus longtemps les artistes-auteurs à l’écart des conquis obtenus par les travailleurs.
Premier.e.s signataires :
Pénélope Bagieu, dessinatrice de bandes dessinées
Lucas Belvaux, réalisateur
Philippe Faucon, réalisateur et producteur
Gisèle Vienne, chorégraphe et metteuse en scène
Arthur Harari, cinéaste
Agnès Jaoui, actrice et cinéaste
Ange Leccia, artiste plasticien
Nicolas Mathieu, écrivain
Catherine Meurisse, illustratrice et dessinatrice
Usul, vidéaste
Jean-Luc Verna, artiste plasticien