Journal de bord de Pascal Babin
Séance Hors les murs – Cinéma de Saint-Palais-sur-mer – Salle Michel Legrand
Débarrée de Matthias Maurin – Noirs les Hussards de Fabrice Marache
Fenêtre sur cour (d’école) et jardin
Le père de la jeune Bianca lui refuse l’accès à la maison familiale. Il l’a décidé : elle restera dehors.
Dans la famille de Fabrice, on est professeur de père en fils. Sauf Fabrice qui est réalisateur. Il l’a décidé : sa vocation s’exercera ailleurs qu’ « Entre les murs » d’une classe d’école.
Lors de cette séance inaugurale, les spectateurs de la deuxième édition du FAANA de Saint-Georges-de-Didonne, invités pour une soirée à faire le déplacement jusqu’à la ville voisine de Saint-Palais-sur-mer, ont découvert pourquoi cette sélection de deux films était judicieusement intitulée Hors les murs. Ce n’était pas simplement du festival dont il était question. Débarrée et Noirs les Hussards nous proposaient, chacun à leur manière, une vue de l’extérieur.
Tout commence par un plant : le court-métrage de Matthias Maurin, la séance, le festival.
Il est assez parlant et réjouissant que le FAANA démarre par l’image d’une jeune pousse. Le plan d’un plant.
Allongée sur la banquette arrière, Bianca qui se fait conduire par une amie tient sur son ventre un petit pot d’où émerge une frêle tige destinée à être rapidement replantée. Elle veut faire la surprise de son arrivée à son père. La surprise et lui se retourneront contre elle. Pas de retour au bercail possible, la voilà refoulée hors du nid. Dès lors, le conflit de générations qui s’engage, fait de conversations fermées où revient la question du travail, vire très vite à une guerre de tranchées. Chacun campe sur ses positions quant à la place qu’il doit occuper, ici même et dans la société. Et finalement au sein de la famille. Plus qu’un rôle de commerçant ou d’ouvrier, de travailleur en somme, c’est celui du père qu’Olivier devra d’abord retrouver pour réparer sa dignité bafouée. Pour cela, la pugnace Bianca le poussera toujours plus dans ses retranchements, quitte à organiser une sorte de ZAD au bout de son jardin et lui en offrir le spectacle réjouissant et inspirant. Jusqu’à ce qu’il accepte de lui-même de baisser la garde (son fusil) et renouer avec celle de sa fille. Au final, la jeune pousse devenue grande plante trône sur la table de la cuisine, dissimulant derrière ses feuilles l’ordinateur.
La grande force du film de Matthias réside dans l’expressivité de la scénographie : une maison contre une tente et au milieu une pelouse par trop tondue, sorte de no man’s land devenu champ des possibles. La spontanéité du récit qui se perd parfois dans quelques redondances du dialogue s’appuie avec raison sur l’efficacité de ce dispositif.
D’aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours connu chez Fabrice Marache un attrait pour l’histoire de la chose publique, et surtout pour les difficiles questions qu’elle soulève. Dès son documentaire de fin d’études, Martel en tête, il abordait de front les contradictions et les sujets qui fâchent. Et au terme d’une enquête sur la mystification de l’an 732, c’est déjà par la voix d’un professeur s’adressant à ses jeunes élèves qu’il rétablissait toutes les nuances et précisions historiques nécessaires. Quelques années plus tard, il éprouvait les limites d’une laïcité débattue en restituant la Naissance d’une mosquée et les réactions de tous bords que suscite son érection sur la place publique. La question notamment d’une madrassa (enseignement musulman) au sein de l’établissement agitait l’opinion locale.
Dans son dernier opus, Fabrice poursuit ses réflexions par la réflexivité, en retournant l’outil-caméra contre lui. Contre toute sa famille plus précisément. Il donne à présent du « je » et du « tu ». La voix ne sort plus d’une machine quand on appuie sur un bouton, ou d’un discours maquillé de notables politisés. Elle témoigne de son souffle et entend interroger celui, qu’il sent affaibli, de ses aïeux. Le ton reste néanmoins facétieux et provocateur. Avec une certaine délectation, on le voit réunir ses parents tous professeurs pour leur donner leçon sur leur propre histoire. Et l’on savoure avec lui l’indiscipline et l’effronterie de ses « jeunes élèves » plutôt rétifs à son interrogation surprise. On sourit également lorsqu’au cours d’une visite dans le village natal de leur ancêtre, premier instituteur d’une longue lignée, il évoque l’invasion laïque et ses écoles qui, comme des églises, ont poussé partout. La dérision n’est jamais loin de la réflexion.
Par des choix assumés, en refusant notamment d’entrer dans la classe pour y voir le professeur professer, point de vue maintes fois documenté ailleurs, Noirs les Hussards décentre le regard qu’on a l’habitude de porter sur le milieu scolaire et ses fonctionnaires. C’est moins le travail du prof qu’il interroge que la vocation, cette voix qui insuffle. La vocation pour le métier d’enseigner dont on connaît la crise actuelle. Entre hier et aujourd’hui, finalement ça veut dire quoi « être prof » ?
À l’arrivée, et sans qu’il n’y paraît, Fabrice embrasse avec rigueur son sujet… et avec tendresse ses parents, à qui il rend un sensible hommage.