FAANA #2 – JOUR 2 – SÉANCE 1 – JEUDI 21 SEPTEMBRE 2023

Journal de bord de Pascal Babin

Séance 1 – Cinéma de Saint-Georges-de-Didonne

Lorraine de Milena Beurer –Sri Landaise de Maylis Dartigue

De la fille découpée des magazines à la fille coupée en deux.

La première séance officielle du FAANA #2 à Saint-Georges-de-Didonne a réuni deux jeunes réalisatrices venues présenter leur première œuvre : un court-métrage de fiction et un documentaire.

Sur l’écran, une façade. Sur la façade/écran, deux fenêtres ouvertes. Une femme dans l’encadrement de chacune. Comme exposées, affichées. Une fille d’un côté et sa mère de l’autre. L’une fume, l’autre aussi. La chambre de l’une est allumée, l’autre pas.

Dans ces deux carrés, ce sont deux mondes, deux générations, deux états d’esprit qui vivent côte à côte sans se regarder, sans s’interpeller, sans s’entendre.

Lorraine, de retour chez sa mère, a tenté de lui expliquer : son ascension sociale espérée, à travers le mannequinat, n’a pas tenu ses promesses. À 22 ans, elle est déjà consommée. Sa mère ne lui répond qu’un seul mot, un modèle : Laetitia Casta. Comme un sésame qui se passerait d’argument. Comme pour dire qu’elle ne l’écoutera pas. Rien qu’un nom, rien qu’une image en guise de réponse. Toujours l’image, pour seul horizon.

Mais Lorraine ne veut plus être une image, elle veut sortir du cadre. Son corps vomissant, expulsant le lui rappelle, se rappelle à elle. Les rêves filmés de sa récente jeunesse prennent un coup de vieux : le film a continué, les rêves ont disparu.

Désormais Lorraine, la lauréate, la miss élue qui porte déjà le nom de sa région, quitte la représentation, revient sur ses pas, sur la route à travers champs. Au loin, on aperçoit les hauts-fourneaux, grosse industrie synonyme jadis d’activité pour la population locale. Aujourd’hui fermée, l’usine a été reconvertie en musée. Là encore l’image s’est figée. Mais la Lorraine n’est pas morte, sa beauté vibre encore.

Par son traitement précis, sans fioriture, le film de Milena Beurer, quoique sans doute trop court, aborde avec délicatesse le retour désillusionné d’une Icare aux ailes brûlées.

Il est encore question de région dans Sri Landaise. Le jeu de mot du titre présente l’association insolite de deux continents, deux climats, deux forêts, deux cultures. De fait, le documentaire ne raconte pas une mais deux adoptions, d’une seule personne : Maylis Dartigue elle-même. Et la naissance à la fois d’une identité redoublée et d’une cinéaste inspirée.

La richesse thématique du film est telle qu’on pourrait longuement expliciter les ressorts dramatiques, philosophiques ou autres que le récit de ces retrouvailles avec sa famille biologique implique et développe. Le pont du premier plan explicite le passage entre deux rives, le second sur une rivière qui coule évoque le retour aux sources. La non chronologie délibérée du montage propose des aller-retours surprenants, met en parallèle les touchers occidentaux sur le front de l’enfant adoptée avec les caresses orientales d’une mère retrouvant la peau de sa fille devenue adulte. Que ce film est tactile, sensible ! Sans doute le plus sensuel de la sélection du FAANA #2.

Mais puisqu’il s’agit dans cette chronique de faire un pas de côté, et que je ne pourrais prétendre à faire l’exégèse du travail de Maylis, j’ai choisi de parler plutôt de ces détails qui m’ont sautés aux yeux en le revoyant hier soir. Du début à la fin, le sommeil est partout présent. Qu’est-ce qu’on dort dans ce film ! J’ai rarement vu un film où l’on dormait autant. Chats, chien, éléphant, enfants, parents, sœurs, mère… On s’endort facilement, parfois au cours d’une conversation, on s’éveille puis on replonge. La torpeur accompagne évidemment la chaleur moite de la jungle tropicale dont on entend tout du long la rumeur exotique, même lorsque l’on retourne France (magie du montage qui raccorde la pelouse d’un parc girondin avec les arbres habités de singes). Mais il m’est avis que l’endormissement n’est pas mis en valeur simplement à cause du climat, pourtant parfaitement rendu par les images et les sons. La somnolence rejoint aussi l’attitude de Maylis elle-même, redevenue à 24 ans une « petite poupée » ballottée par les évènements qui soudain s’accélèrent lorsque la police sri-lankaise se met en tête de retrouver sa famille, presque malgré elle. Dans ce dialogue difficile, heurté par les langues étrangères et les accents au couteau, presque de sourds, elle choisit de garder le sourire mais de fermer les yeux. L’indolence qui parcourt son film comme son visage est signe d’une résistance douce mais souveraine. L’in-dolence : une lutte apaisée contre la douleur, afin de surmonter, de dépasser, de reprendre la mise en scène de ce moment qu’elle désigne elle-même comme le plus bouleversant et déstabilisant de sa vie. Fuir la parole, laisser la force aux regards, aux présences, aux sensations tropicales. On pense au rythme des films de Satyajit Ray, ce cinéaste indien parrainé par le français Jean Renoir.

Dans sa présentation, Maylis a expliqué qu’à l’origine elle partait pour réaliser un tout autre projet. Un film qui traiterait de ces impressions en arrivant sur la terre qui l’a vue naître. Mais une autre aventure s’est déroulée devant sa caméra. Pour autant, à bien observer ces longues séquences sur la jungle et la faune du Sri-Lanka, séquences soit-disant intermédiaires ou de coupe entre deux scènes fortes, mais tellement présentes et nombreuses qu’elles prennent plus de place, j’ai la conviction que malgré tout, envers et contre tous, elle l’a réalisé son film sur la terre. Et ce ne sont pas des évènements inattendus et bouleversants qui auraient pu la dévier de son objectif. Belle et suprême liberté d’une cinéaste !

Alors je souris en voyant au générique que son projet a reçu le prix du meilleur pitch. Assurément s’il est un film qui ne se réduit pas à son pitch, c’est bien celui-là.

Pascal Babin